Creation de quasi-cristal très rare suite à l'explosion du premier essai atomique
15 Juillet 2021 | Par Alexia Domoina et collectif scientifique | Cristaux et sciences
Le quasi-cristal se caractérise par une structure minérale dite « impossible »…
Auteure : Alexia Domoina
Quasi-cristal de Ho-Mg-Zn de forme dodécaédrique, obtenu par flux ternaire en refroidissant lentement entre 700 et 480 °C13 / Wikipedia
Il y a 76 ans, les Etats-Unis ont testé la toute première bombe atomique. Cela s’était passé en juillet 1945, dans le désert du Nouveau-Mexique : dans le cadre d’un test baptisé « Trinity », les USA ont fait exploser une bombe à fission nucléaire à base de plutonium. L’explosion a généré une gigantesque énergie d’environ 21 kilotonnes de TNT. Cela a fait fondre et vitrifier le sable, forgeant alors une forme de minéral très rare appelée « quasi-cristal ».
C’est ce qu’un groupe de chercheurs a découvert en ratissant les vestiges de l’immense cratère de presque dix mètres de diamètre créé par l’explosion : dans une étude récemment publiée dans la revue PNAS, les scientifiques ont indiqué avoir étudié le quasi-cristal trouvé sur le site d’essai.
Les Quasi-Cristaux : de quoi s’agit-il ?
Les quasi-cristaux sont des minéraux avec une structure dite « impossible », car cette dernière n’est pas régulière ou périodique. Même s’ils contiennent les mêmes constituants que les cristaux classiques, les quasi-cristaux se caractérisent par une structure symétrique irrégulière : c’est-à-dire que cette dernière ne présente pas des motifs répétés à l’identique, mais au contraire, différents les uns des autres. Pour vous donner une image précise, il suffit d’imaginer un sol carrelé…
En effet comme l’explique tout simplement le site Vice : « les cristaux normaux correspondent à des carreaux parfaitement ajustés d’une seule forme répétitive, tels que des triangles ou des carrés, tandis que les quasi-cristaux sont semblables à une mosaïque aux formes multiples qui ne s’emboîtent pas parfaitement, comme les pentagones ou les octogones. »
Cristaux trouvés dans le désert !
Selon les explications apportées par Terry C. Wallace, géophysicien sur le site de l’observatoire de Los Alamos, au Nouveau-Mexique, « les quasi-cristaux se forment dans des environnements extrêmes qui existent rarement sur Terre […] Ils nécessitent un événement traumatique avec un choc, une température et une pression extrêmes. Nous ne voyons généralement pas cela, sauf dans un événement aussi dramatique qu’une explosion nucléaire. » D’où l’idée de ratisser la zone d’essai… Le groupe de chercheurs cités plus haut a passé dix mois sur le site avant de finalement trouver leur bonheur : un petit morceau qu’ils se sont empressés d’étudier en laboratoire.
Il faut savoir que les scientifiques se posent encore de nombreuses questions sur ce mystérieux minéral qu’est le quasi-cristal… D’ailleurs, pour Paul Steinhardt, l’un des chercheurs attachés au projet, le quasi-cristal pourrait s’avérer très utiles dans plusieurs domaines et applications : technologies optiques, revêtements antiadhésifs ou encore matériel chirurgical… Avec ses collègues, ils sont bien déterminés à étudier leur trouvaille sous toutes ses coutures.
Compléments d'informations
Un quasi-cristal a été découvert sur le site d'essai de la première bombe atomique, au Nouveau-Mexique. Il adopte une structure que les scientifiques ne peuvent pas encore pleinement expliquer.
En juillet 1945, au Nouveau-Mexique, les États-Unis procédaient au premier test d’une bombe nucléaire dans le cadre du projet Manhattan. Cet essai, baptisé Trinity, reposait sur une bombe à fission nucléaire à base de plutonium. Une énergie équivalant à environ 21 kilotonnes de TNT s’est alors libérée, laissant un cratère de 1,5 mètre de profondeur et de 9,1 mètres de diamètre. Tandis que le nuage s’est élevé jusqu’à 12 100 mètres d’altitude, le sable a fondu en se vitrifiant, générant un minéral appelé trinitite.
Durant ce processus, un cristal s’est également formé, et plus particulièrement un « quasi-cristal ». Celui-ci vient d’être découvert, lors d’une étude des lieux, 76 ans après l’explosion. Les scientifiques qui ont mis au jour et étudié ce matériau rare publient leurs résultats en juin 2021 dans la revue PNAS.
Le grain de quasi-cristal, situé dans un échantillon de trinitite rouge, est entouré en rouge. // Source : Bindi et al., PNAS, 2021
Qu’est-ce qu’un quasi-cristal ?
Les quasi-cristaux ont été découverts pour la première fois en 1982. Le découvreur, Dan Shechtman, a obtenu le prix Nobel de Chimie en 2011 pour cette trouvaille révolutionnaire. Leur particularité est de briser toutes les règles auparavant admises sur les matériaux cristallins, tout en étant malgré tout des cristaux.
Un cristal normal, que ce soit de la neige, du sucre ou un diamant, possède une structure atomique régulière, périodique. Un même motif est répété à l’identique dans une structure symétrique en trois dimensions. Un quasi-cristal contient les mêmes constituants, mais ils ne s’arrangent pas de façon régulière. Ce sont des cristaux en quelque sorte chaotiques, dont la structure interne avait été décrite comme « impossible » par les physiciens lors de leur découverte, car, jusqu’alors, on pensait que l’ordre était synonyme de périodicité. Or, les quasi-cristaux sont ordonnés, symétriques, mais les motifs ne sont pas périodiques — ils ne sont pas répétés. Cette découverte a obligé l’Union internationale de cristallographie à changer la définition d’un cristal, pour prendre en compte les quasi-cristaux.
« Les quasi-cristaux se forment dans des environnements extrêmes qui existent rarement sur Terre », explique le géophysicien Terry C. Wallace, sur le site de l’observatoire de Los Alamos. « Ils nécessitent un événement traumatique avec un choc, une température et une pression extrêmes. Nous ne voyons généralement pas cela, sauf dans un événement aussi dramatique qu’une explosion nucléaire. »
Quasi-cristal trouvé sur le site de l’essai nucléaire Trinity. // Source : Bindi et al., PNAS, 2021
À l’heure actuelle, tous les quasi-cristaux découverts sont d’origine anthropique, c’est-à-dire générés par des activités humaines. Il y a une exception : la météorite Khatyrka. Découverte en 2011 en Sibérie, le site du crash est le seul endroit connu où ont été trouvés des quasi-cristaux d’origine naturelle. Les conditions thermodynamiques d’un tel impact sont assez proches de celles provoquées par une fission nucléaire.
« Ce quasi-cristal est magnifique dans sa complexité »
Le quasi-cristal récemment découvert sur le site de l’essai Trinity est composé de trinitite rouge, la forme la plus rare de trinitite, et donc la moins étudiée. Ils ont analysé un minuscule échantillon par microscopie électronique à balayage et par cristallographie aux rayons X. Ce faisant, les scientifiques ont pu observer une structure cristalline prenant la forme d’une symétrie rotative quintuple. C’est un type de symétrie non périodique (assez proche de la forme géométrique dit icosaèdre), ce qui serait littéralement impossible dans un cristal normal tel qu’un diamant ou un grain de sel.
Pourquoi a-t-il pris une telle forme lors de l’explosion ? La réponse à cette question n’a pas encore été identifiée. « Ce quasi-cristal est magnifique dans sa complexité — mais personne ne peut encore nous dire pourquoi il s’est formé de cette façon », répond Terry C. Wallace sur le site de l’observatoire Los Alamos. Mais il ne désespère pas qu’un jour « un scientifique ou un ingénieur le découvre » et que nous ayons alors « une explication thermodynamique » sur la création de cette structure.
Sources :
https://www.neozone.org/science/lexplosion-de-la-premiere-bombe-atomique-a-forge-une-forme-de-mineral-tres-rare-le-quasi-cristal/
https://www.numerama.com/sciences/712019-la-premiere-bombe-atomique-a-cree-un-quasi-cristal-a-lexistence-censee-etre-impossible.html
L'article scientifique de référence (en anglais sur abonnement) :
https://www.pnas.org/content/118/22/e2101350118